Les entreprises et les banques françaises représentent environ 20% des indices crédit européens, avec une notation moyenne de A3/BAA1, en ligne avec la notation moyenne de l’indice. Les émetteurs crédit français ont ainsi un poids significatif dans les indices crédit européens (notamment l’indice Bloomberg euro Aggregate Corporate LECPTREU). 

Le risque politique français s’est nettement accru depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, suivie de la motion de censure du gouvernement, en décembre. Cela a généré des craintes concernant la capacité de la France à réduire son déficit public pour le faire converger vers les objectifs de la Commission Européenne.

L’incertitude continue de peser sur la dette française et les entreprises de l’Hexagone. Le spread OAT / Bund 10 ans, qui s’était nettement écarté à la suite de l’annonce de la dissolution (pour passer de 48bp à 78bp), s’établit aujourd’hui à 82pb. Pour rappel, lors de la crise des dettes périphériques en 2011, devenues pour certaines désormais de bons élèves, le spread OAT / Bund s’était écarté jusqu’ à 130bp en décembre 2011 pour un déficit de plus de 5% et un ratio dette sur PIB de 88,7%. En volume, la dette française était alors de 1800 milliards d’euros contre 3300 milliards d’euros aujourd’hui et un déficit de 6,1%.

En termes de valorisation, la France est en retrait en termes de dynamique de croissance, et tous les marchés dits « périphériques » - hormis l’Italie et la Grèce - se refinancent mieux (c’est-à-dire à un taux inférieur). La France (AA- / Aa3) se refinance à 10 ans à 3.13% alors que la Grèce (BBB- / Ba1) sur cette même maturité est à 3.17%, l’Espagne (A / Baa1) à 3%, le Portugal (A- / A3) à 2.77%, et l’Italie (BBB / Baa3) à 3.47%. En termes de spread, beaucoup d’informations sont déjà intégrées par les marchés, pour un différentiel de rating conséquent entre ces pays (perspectives stables de Moody’s à Aa3 pour la France).

A ce jour, la composante France au sein de l’indice crédit européen a sous-performé depuis le début de l’année. L’indice crédit européen réalise une performance de 5,09% contre +4,60% pour sa composante France. Cette sous-performance est aussi perceptible depuis le mois de décembre avec une performance de 0,66% pour les crédits français vs +0,83% pour le crédit euro. 
Ce phénomène peut s’expliquer par les primes de risques. En début d’année 2024, ces primes de risque sur les émetteurs crédit français étaient plus faibles que l’ensemble des primes de risque de l’indice crédit européen. La prime de risque de la France était à 132bp vs 137bp pour l’indice crédit européen.

La bonne nouvelle est que, dans cette année 2024 positive pour le risque crédit, les primes ont baissé, mais celles des entreprises françaises moins que les autres. Ainsi à ce jour, la prime des crédits français est à 105bp de la courbe allemande, soit une baisse de 27bp. Cette évolution est à comparer à la prime de l’indice crédit européen qui également baissé, mais dans des proportions plus importantes, passant à 100bp, ce qui représente une baisse de 37bp. Les entreprises françaises (banques et corporates) ont donc sous-performé leurs concurrents européens avec un écartement de leur prime de risque de 10bp. 

Au regard de la performance de l’OAT vs le Bund, dont le spread est passé de 50bp à 80bp, soit un écartement de +30bp, les entreprises françaises ont bien résisté à la défiance sur la dette française.

Comment expliquer cette résistance ?

Des éléments de réponse sont à trouver du côté des caractéristiques fondamentales des entreprises et banques françaises.
Certaines entreprises sont directement liées à la France par leur actionnariat et sont donc davantage susceptibles de subir une baisse de leur notation. La croissance économique faible en France pèse déjà sur les entreprises françaises. Celles dont les revenus proviennent pour plus de +50% de la France sont forcément les plus exposées. 

Les secteurs les plus sensibles au risque français au sens large sont le secteur des banques et de l’assurance, du fait de leur actionnariat et leur structure de bilan. Les banques françaises offrent de solides fondamentaux crédit. L’impact de spreads avec des écartements tant des banques françaises que de la France (OAT) a un impact limité à court terme. L’exposition en obligation OAT représente moins de 5% de l’actif total dans les bilans des banques françaises, ce qui est gérable. La faiblesse de la croissance domestique est finalement l’impact le plus important pour les banques françaises (baisse de l’activité et des volumes, détérioration de la qualité des actifs). 

En termes de méthodologie, Moody’s a dégradé la note de la France à « Aa3 perspective stable », vendredi 13 décembre, pour la ramener au même niveau que les notes de S&P et Fitch (AA-). L’impact en termes de méthodologie spécifique à Moody’s a eu pour conséquence la dégradation à A1 des instruments de dette senior preferred qui étaient notées Aa3. Bien que ce downgrade ne soit pas une bonne nouvelle, la réaction du marché n’a pas été significative pour l’instant, cette évolution résultant d’une baisse de notation de la dette souveraine et pas de la détérioration intrinsèque des banques françaises. Comme les investisseurs connaissent la méthodologie et l’alignement de ces ratings, les primes de risque de ces obligations se sont dégradées en s’écartant de 10bp en 2 jours.

En termes de flux, des acheteurs - principalement français - se sont repositionnés à l’achat depuis mercredi 18 décembre. Or, en France, les investisseurs crédit sont sous-pondérés sur les crédits français, depuis cet été notamment. Ils sont en position d’attente pour profiter d’un primaire très actif attendu pour janvier 2025, ou d’une phase de volatilité afin de se repositionner sur les obligations françaises.

Du coté des assureurs français, l’augmentation de la prime de risque française a pour conséquence une détérioration de leur ratio de solvency, notamment pour les assureurs vie dont les investissements ont des durations longues, et qui sont davantage exposés à la France (l’OAT représente 20% de leurs actifs). Cependant, leurs ratios de solvency sont actuellement très confortables, pour la plupart supérieur à 200%.

Conclusion

La crise politique en France peut s’étaler dans le temps, ce qui pourrait amener de la volatilité sur les marchés et les spreads français dont notamment l’OAT. La BCE dispose d’outils pour garantir la stabilité du système européen. L’activation de ces outils pourrait être conditionnée à des engagements sur la trajectoire de la dette française. Fortement impactées par cette situation, les banques françaises bénéficient néanmoins de fondamentaux solides. L’impact est surtout sur le sentiment de marché et les éléments techniques. La volatilité dans les spreads peut s’accompagner d’opportunités d’investissement.

  • Sophie Palagos

    Sophie Palagos

    Analyste Crédit Financières

  • Sophie Pensel-Poiron

    Sophie Pensel-Poiron

    Gérante Crédit