Après une année 2022 désastreuse sur le marché du crédit, celui-ci a connu des débuts fulgurants en 2023. Est-ce justifié ou bien y a-t-il un excès d’enthousiasme, notamment sur le high yield ? Les réponses de Philippe Berthelot, directeur gestion crédit et monétaire chez Ostrum Asset Management.
Assiste-t-on au retour en grâce de l’obligataire ?
L’annus horribilis que nous avons connue a été marquée par ce qui s’apparente à un krach obligataire – bien plus qu’un krach de spreads d’ailleurs. Cette année 2023 est très différente et nous conduit à être constructifs sur cette classe d’actifs. Dès l’automne dernier, nous avons modifié nos vues et portefeuilles, en ligne avec l’anticipation par nos stratégistes d’un faible ralentissement économique plutôt qu’une récession. Les faits leur donnent raison et, désormais, bon nombre de stratégistes semblent partager cette vision : ce contexte macroéconomique profite au monde obligataire. Cela se conjugue avec des facteurs bottom-up eux aussi rassurants, notamment des taux de défaut contenus. Au sein de l’obligataire, le high yield émerge comme un segment très intéressant, parti pour corriger les excès baissiers de l’année dernière, comme en témoigne le rallye de janvier.
Quelles sont vos anticipations sur les taux de défaut ?
Nous suivons les prévisions de Moody’s ou CreditSights et réalisons surtout nos propres prévisions. Sur le high yield, nos modèles donnent un taux de défaut de 4 %. Certes, il est en croissance, mais toujours en ligne avec la moyenne historique de ces trois dernières décennies. Nos analystes crédit confirment cette tendance : ils estiment le taux de défaut en Europe à 3,2 % et ont identifié 13 candidats potentiels, sur 412 émetteurs. Les catégories les plus touchées sont dans le bas du spectre (catégorie CCC). Le marché, lui, anticipe un taux de défaut de 6 % à 7 %, ce qui signifie que beaucoup de mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans les valorisations. Le high yield, pour des raisons macroéconomiques, de qualité de crédit et de rendement absolu, est redevenu attractif.
Justement, quelles sont vos prévisions en matière de rendement ?
On retrouve sur l’obligataire européen des niveaux de rendement absolu inédits depuis 10 ans. Nous sommes proches de 4 % sur l’investment grade et de 7 % sur le high yield. Cette année sera moins complexe que 2022 pour l’obligataire. Les banques centrales sont en fin de cycle de hausse de taux, même si nous devrions encore voir un relèvement de 25 points de base de la part de la Fed et de 50 points de base par la BCE. Cela soutient les classes d’actifs risqués, notamment le crédit high yield.
Il n’y a donc aucun motif d’inquiétude ?
Si, car certains éléments se dégradent. On observe notamment plus d’abaissements que de rehaussements de crédit ; ce ratio demeure positif pour l’investment grade mais il est négatif en absolu pour le high yield. Heureusement, le marché, de son côté, intègre un fort niveau de taux de défaut. On s’attend donc en 2023 à un marché non linéaire, encore versatile, même si cela n’aura aucune commune mesure avec la volatilité de l’année dernière.
Dans ce contexte, quelle est la valeur relative du high yield par rapport à l’investment grade ?
Le début de dégradation de la qualité de crédit est plus visible sur le high yield que sur l’investment grade. Mi-janvier, dans l’investment grade, 123 notations avaient été rehaussées, contre 95 abaissements. Dans le high yield, la tendance est inverse, avec 132 rehaussements contre 218 abaissements. Toutefois, le marché a déjà bien tarifé ce risque. Il nous semble important d’avoir une allocation stratégique sur le crédit, comme en témoigne le fort rallye du début d’année. Un rallye qui va cependant imposer de travailler sur les points d’entrée.
Au sein du high yield, quels segments de notation privilégier ?
La valorisation relative du segment B est devenue chère par rapport au BB. Dans nos fonds, nous avons eu tendance à alléger le premier au profit du second, ce qui a contribué à remonter la qualité du crédit. A condition d’être très sélectif, les CCC, les AT1 et les corporates hybrides ont aussi un intérêt pour les portefeuilles, notamment, car certains ont pris du retard dans le rallye. Dans un contexte de marché où les émissions reprennent et attirent des flux entrants sur le crédit, il nous semble très important de pouvoir mener une gestion active, aidée par nos analystes crédit, afin de limiter les risques et saisir plus d’alpha.