Crédit Suisse a subi des scandales et des défaillances de gouvernance à répétition, qui se sont traduits par une détérioration de son profil d’entreprise. Pendant des années le groupe a cherché l’équipe de direction qu’il lui fallait et nous avons vu la franchise s’affaiblir au cours de cette période.
Fin octobre 2022, l’équipe de direction actuelle a défini une stratégie de transition pour devenir principalement une banque commerciale et un gestionnaire de patrimoine. Cette transition devait prendre du temps et impliquer la sortie de Crédit Suisse First Boston et la réduction de certains actifs. Le marché a réservé un accueil favorable au plan stratégique, mais à ce moment-là, Crédit Suisse avait déjà subi des retraits de dépôts significatifs – bien que gérables, des sorties d’actifs sous gestion et une activité inférieure à celle de ses pairs. La solidité du bilan, mesurée en fonction de la santé des actifs et de la solidité des capitaux, devait permettre au groupe de mener à bien une année de restructuration en 2023 en faisant face aux pertes attendues. À l’époque, nous avions évalué le groupe comme affaibli et plus vulnérable à un choc de marché ou à d’autres événements imprévus.
La faillite de la Silicon Valley Bank et les commentaires perçus comme négatifs du premier actionnaire de la banque ont suffi à répandre la peur parmi les investisseurs, le paroxysme étant atteint hier. Bien que nous n’ayons pas accès aux chiffres exacts des retraits de dépôts et de l’activité avant la fin du premier trimestre, nous soupçonnons que les retraits pourront s’avérer significatifs.
Pendant la nuit, nous avons appris deux nouvelles positives : (1) le régulateur suisse, la FINMA, et la Banque Nationale Suisse ont confirmé conjointement leur intention de soutenir Crédit Suisse en mettant à sa disposition les liquidités nécessaires et (2) Crédit Suisse a annoncé son intention d’emprunter
50 milliards CHF de liquidités auprès de la banque centrale dans le cadre d’une facilité de prêt couverte et d’une facilité à court terme.
Bien qu’elles ne soient peut-être pas suffisantes pour restaurer Crédit Suisse, ces mesures apaisent certainement la situation et donnent à la banque le temps d’explorer de manière ordonnée les options possibles qui s’ouvrent à elle. Il s’agit d’une première victoire, car toute escalade impliquerait une contagion vers le reste du système compte tenu de l’importance systémique de Crédit Suisse.
Enfin, même si les choses vont encore évoluer, les facteurs laissant supposer une issue positive pour les détenteurs d’obligations seniors sont significatifs : les régulateurs suisses ont des exigences strictes en matière de fonds propres, que la banque a respectées, et de bonne qualité des actifs.
Si l’on prend du recul et qu’on considère l’ensemble du secteur bancaire européen, nous pensons qu’il aborde le ralentissement global de l’économie en position de force. Poussé par la réglementation bancaire européenne très discipliné, le secteur affiche des positions solides en termes de fonds propres et de liquidités, encore renforcées par ses préparatifs pour honorer les remboursements des TLTRO, dont la plus grande partie arrive à échéance en juin 2023. Les banques européennes conservent de fait 12 % environ du total de leur bilan en trésorerie et dépôts auprès des banques centrales, ce qui leur donne un matelas confortable pour honorer les échéances à mesure qu’elles tombent.
Le point faible des banques européennes réside dans leur dépendance certaine au financement de gros, compensée dans la plupart des cas par leurs modèles d’affaires diversifiés, leurs sources de financement diversifiées, ainsi que l’ampleur et la profondeur du marché européen des obligations couvertes.
Si cette dépendance a beaucoup diminué pendant la période du Covid grâce à la croissance hors norme généralisée des dépôts, nous pensons qu’elle reviendra à la normale. Nous insistons sur le fait que les retraits de dépôts ne nous inquiètent pas en tant que tels. Ils doivent être appréciés au cas par cas pour chaque banque, compte tenu de son modèle d’affaires et de la diversification de son financement. Il est normal que les particuliers, et encore plus les entreprises, remettent ces fonds au travail à la suite du Covid. L’impact pour les banques portera principalement sur les marges d'intérêts qui, après une hausse assez considérable en
2022, se retrouveront très certainement sous pression car les coûts de financement vont évidemment augmenter.
L’équipe de recherche crédit, Ostrum Asset Management
Cette analyse a été rédigée le 15 mars 2023 par Cynthia Voorhees, Crédit analyste senior spécialisée dans le secteur bancaire et basée aux États-Unis.