Si 2023 a pu marquer un retour des obligations, rien ne garantit que cette tendance se poursuivra en 2024. Comme le souligne la dernière étude de Natixis, les incertitudes qui planent sur les perspectives de croissance et les niveaux d’inflation et, par conséquent, sur le calendrier et l’ampleur de la baisse des taux directeurs en 2024, incitent les investisseurs obligataires à faire preuve de prudence.

Alors, comment devons-nous envisager les segments obligataires ? L’intérêt des investisseurs pour les obligations vertes est-il justifié ? Par ailleurs, est-ce le bon moment pour allonger la duration des portefeuilles obligataires ? L’inflation peut-elle redescendre sous le seuil de 2 % fixé par les banques centrales ?

  • Alexandre Caminade

    Alexandre Caminade

    Directeur de la gestion taux core et alternatifs liquides

Selon la dernière enquête mondiale menée par Natixis auprès des sélectionneurs de fonds, les obligations vertes continuent de susciter l’intérêt des sélectionneurs presque partout dans le monde. Globalement, 84 % d’entre eux déclarent vouloir maintenir (50 %) ou augmenter (34 %) leur allocation. Partagez-vous leur optimisme et, selon vous, quelles sont les tendances négatives et positives pour cette classe d’actifs en Europe ?

Nous partageons l’optimisme des sélectionneurs de fonds concernant les obligations vertes pour trois raisons.

Premièrement, il y a une forte demande de la part des investisseurs. La prise de conscience du réchauffement climatique et la réglementation en faveur de l’investissement durable gagnent du terrain, ce qui stimule la demande pour les obligations vertes.

Deuxièmement, les besoins de financement de la transition écologique sont énormes. L’économie mondiale nécessite d’importants investissements pour atteindre ses objectifs climatiques, ce qui fait des obligations vertes un instrument financier incontournable. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, il faudra investir environ 4 000 milliards de dollars chaque année dans les énergies renouvelables.

Troisièmement, la nouvelle norme européenne sur les obligations vertes (European Green Bond Standard), qui entrera en vigueur en 2025, offrira davantage de transparence et de clarté sur ce marché.

Dans l’ensemble, les perspectives sont positives mais les opportunités ne doivent pas faire oublier les défis. Par exemple, les investisseurs en obligations vertes peuvent aussi souffrir des incertitudes économiques. Si les taux continuaient à augmenter ou si l’inflation devenait plus forte que prévu, il y aurait un impact sur la valorisation des obligations, obligations vertes inclues.

Le risque d’écoblanchiment constitue un autre problème. Des doutes sur l’aspect réellement écologique de certaines obligations peuvent faire hésiter des investisseurs jusqu’à ce qu’un renforcement de la réglementation permette de lutter plus activement contre l’écoblanchiment.
Toutefois, des initiatives européennes telles que le programme Next Generation EU apportent un soutien public aux obligations vertes. Le marché des obligations durables se diversifie et innove de plus en plus, avec une base d’émetteurs plus vaste et davantage d’options d’investissement, telles que les obligations liées au développement durable (Sustainability-Linked Bonds). En matière de performances, diverses études suggèrent que les obligations vertes pourraient offrir des rendements ajustés du risque similaires, voire supérieurs, aux obligations traditionnelles(1)

Dans l’ensemble, malgré des vents contraires, nous pensons que les perspectives à long terme pour les obligations vertes en Europe restent positives.

Selon vous, les obligations feront-elles leur grand retour en 2024 ?

Oui. Je pense que le regain d’intérêt pour la classe d’actifs obligataires en 2024 ne se limite pas aux obligations vertes, mais concerne tous les types d’obligations. Il y a trois raisons à cela.

Premièrement, la recherche de rendement a revitalisé le marché obligataire après une période prolongée de taux d’intérêt historiquement bas. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans est passé d’un minimum de 0,5 % mi-2020 à son niveau actuel de 4,7 %(2), rendant les obligations beaucoup plus attractives pour les investisseurs.

Deuxièmement, l’environnement économique mondial actuel, marqué par un ralentissement de la croissance et une baisse de l’inflation depuis plusieurs mois, incite les banques centrales du monde entier à initier un cycle de réduction des taux, même si sur ces derniers mois on a constaté un peu plus de prudence en particulier aux États-Unis. Une fois le cycle enclenché, et nous sommes confiant sur l’intention de la BCE de débuter en juin, l’impact sur les obligations devrait être positif.

Troisièmement, en début d’année, les investisseurs obligataires s’inquiétaient du risque lié à l’offre. Nous pensons que cette offre, notamment aux États-Unis, augmentera massivement en 2024 par rapport à l’année dernière. Ces craintes ont été dissipées lorsque le marché a répondu favorablement à une offre très abondante depuis le début d’année. Par ailleurs, cette résilience est de bon augure pour les performances futures des obligations, renforçant leur attractivité en tant qu’option d’investissement. Dans l’ensemble, la combinaison des facteurs macroéconomiques et de la dynamique de marché semblent confirmer un renouveau obligataire en 2024, probablement davantage sur le second semestre.

Étant donné que les taux d’intérêt restent le principal risque de portefeuille pour les sélectionneurs de fonds, est-il trop tôt pour ajouter de la duration aux portefeuilles ?

Les investisseurs doivent garder à l’esprit que deux éléments déterminent les performances de leurs portefeuilles obligataires : le prix des obligations, qui est lié à l’évolution des taux d’intérêt, et le portage. La composante portage a été ignorée pendant de nombreuses années alors que les taux étaient maintenus à un niveau très bas par les banques centrales. Néanmoins, il s’agit d’un facteur de performance à ne pas négliger.

Avec des taux beaucoup plus élevés actuellement qu’au cours des décennies précédentes, les investisseurs sont davantage rémunérés pour un risque de taux d’intérêt beaucoup plus important. Les banquiers centraux s’éloignent désormais des postures restrictives et l’inflation se normalise progressivement en revenant vers les 2 %.

Augmenter la duration de son exposition obligataire se fait souvent en réaction aux anticipations de baisse des taux directeurs, et les banques centrales commencent à communiquer dans ce sens avec, il est vrai, beaucoup plus de prudence côté Fed. Les investisseurs devraient donc commencer à augmenter leurs investissements obligataires au moins en zone Euro.

Selon nous, la première baisse des taux de la BCE devrait avoir lieu en juin. La Fed, du fait d’une économie plus résiliente, d’une désinflation moins rapide et d’un marché de l’emploi toujours tendu, agira plus tard.

Pour la Fed, le marché anticipe moins de 2 baisses, ce qui est à peu près en ligne avec notre scénario. Nous pensons que la partie courte de la courbe US avec un taux 2 ans autour de 5% est attractive. Ce n’est que lorsque nous aurons plus de visibilité sur la première baisse annoncée par la Fed que nous rallongerons sur la courbe.

Une minorité (22 %) de sélectionneurs de fonds pense que l’inflation atteindra l’objectif de 2 % fixé par les banques centrales au cours de l’année 2024, tandis que plus de la moitié (54 %) se résignent au fait qu’une plus forte inflation s’inscrit désormais dans la nouvelle normalité, un sentiment plus marqué au Royaume-Uni (62 %) et dans la région EMEA (61 %). La persistance de taux d’intérêt élevés et d’une forte inflation menace-t-elle de retarder le financement de la transition énergétique et écologique ?

La plupart des banquiers centraux sont persuadés que l’inflation restera au-dessus de l’objectif des 2 % en 2024. Les projections de la BCE cette année font état de 2,3 % pour l’inflation globale et de 2,6 % pour l’inflation de base. Il y a de grandes chances que la plupart des participants à l’enquête aient raison.

L’évolution du régime d’inflation est beaucoup plus subtile. Il faudrait envisager ces 2 % comme un nouveau plancher. Le biais se situe dans la tendance majeure à rester au-dessus plutôt qu’à descendre en-dessous. La plupart des indicateurs suivis par la Fed sont désormais inférieurs à 3 % et devraient avoisiner les 2,5 %. On constate néanmoins au regard des derniers chiffres la fragilité de ces prévisions. On peut quand même affirmer qu’une inflation qui stagne autour de 2,5 % est très différente d’une inflation qui stagne à 5 %, surtout en ce qui concerne les obligations.

Par ailleurs, nous pensons que financer la transition écologique à ce niveau ne devrait pas poser problème.

En outre, la plupart des projets sont réalisés dans une optique de long terme. Selon nous, le soutien de la part des gouvernements comblera le déficit de rentabilité potentiel pour ces projets. Par conséquent, nous sommes confiants sur le fait que cela n’affectera pas le financement de la transition.

Selon vous, de quel autre facteur devraient principalement tenir compte les investisseurs en ce qui concerne la poche obligataire de leur portefeuille cette année ?

Si l’inflation devait diminuer moins rapidement que prévu, la Fed devrait abandonner son scénario d’atterrissage en douceur et maintenir son taux directeur au-delà de 5% plus longtemps avec le risque d’un accident financier.

Dans ce cas, le premier mouvement du marché sera une augmentation des taux, ce que l’on a déjà pu observer en partie depuis le début d’année. Les actifs risqués seraient pénalisés par le maintien de taux réels élevés trop longtemps. Cependant, dans ce type de scénario, les bons du Trésor et les obligations finiraient par performer en raison d’une préférence pour les actifs de qualité mais aussi en anticipation de politiques monétaires plus accommodantes.

(1) https://www.climatebonds.net/policy/policy-areas/improving-risk-return-profile + Sur les six années allant de 2016 à 2021, à un niveau agrégé, les obligations vertes libellées en euros ont enregistré une performance supérieure à celle de leurs équivalents non verts de 52 points de base sur une base annualisée. Source : https://www.gsam.com/responsible-investing/en-INT/professional/insights/articles/how-green-obligations-fit-in-a-obligations (ou obligataire) -portfolio
(2) Au 26 avril 2024

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Insight - Le grand retour des obligations ?

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